Izabela Kowalczyk est une artiste franco-polonaise qui vit et travaille à Marseille.
Née en 1975, elle a grandi en Pologne, à l’ère de transformation du système politique.
En 2002, elle a obtenu un Master en Arts de l'Académie des Beaux-Arts de Łòdź. Elle a ensuite bénéficié d'une bourse du Gouvernement Français, qui lui a permis de continuer ses études à l'École d'Art d'Aix-en-Provence, et d'obtenir un DNSEP en 2005.
Parmis ses premières influences se trouvent les constructivistes d'avant-guerre comme Katarzyna Kobro, Władyslaw Strzemiński, Maria Jarema; des artistes et architectes comme Kazimierz Malewicz, Aleksander Rodczenko, mais aussi les groupes The Stijl et Bauhaus.
Un futur attrait d'Izabela dans le questionnement sur la nature de l'espace et sa perception, par une recherche de points communs entre les images bi-dimensionnelles et les objets tri-dimensionnels, s'annonçait déjà par sa fascination pour les travaux d'Elsworth Kelly, Sol Le Witt, Frank Stella ou encore David Tremlett.
Une résidence à l'École d'Art de Stuttgart en Allemagne en 2000, puis un séjour à Londres en 2001 lui ont permis de découvrir, entre autres, l'œuvre de Tony Cragg, oscillant entre une abstraction, ainsi que le travail sculptural et graphique d'Eduardo Chillida.
Depuis 2009, elle expose régulièrement en France et à l’étranger, notamment à Celio Factory, Londres; Galerie la Ferronnerie, Paris; Transmitter Gallery, NY; Musée Regards de Provence, Marseille; Mia Art Gallery, Wrocław; New B Gallery, Shanghai.
Izabela Kowalczyk, 2019
Bernard Muntaner, 2014
Florian Fernandez, 2012
Peintures et reliefs
Mon travail oscille entre deux domaines en parallèle : la peinture traditionnelle sur un support plat et le volume.
Je réalise depuis quelques années une série de peintures - Sans titre, ainsi qu'une série d'objets - Reliefs. Les images bi-dimensionelles et les objets tri-dimensionnels se répondent, créent des écho, se complètent.
Cette relation entre la forme plate et le volume est très sensible dans l'étape de conception de tous mes travaux, cruciale pour leur réalisation - découpage des formes en papier.
Elle résulte d'une nécessité intuitive de l’expérience de l'espace, comme les Gravitations d'Eduardo Chillida - un travail à mi-chemin entre la peinture et la sculpture.
Même si mes recherches sont avant tout formelles quelque chose de la figuration demeure.
Le point de départ de la forme abstraite est bien souvent nourri de formes plus figuratives véhiculées par la réalité quotidienne. Je suis persuadée que la véritable abstraction n'existe pas en dehors de son idée. Plus que par l'abstraction je suis intéressée par l’étrangeté de la forme obtenue, la multiplicité de sens qu'elle évoque.
Izabela Kowalczyk, 2019
IZABELA KOWALCZYK. Les fondamentaux plastiques comme objet de création
Ce sont des formes. Plus précisément des aplats, formés semble-t-il, de façon aléatoire, sans soucis de représenter ou de convoquer un quelconque référent plus ou moins identifiable. Les spéculations quant à l’origine de ces formes sont ouvertes. Nous sommes invités à cheminer sur les contours et à repérer les indices qui feraient sens. Je me suis attardé à penser qu’il se pourrait que ces formes pleines, peintes en noir ou en couleur, pourraient être les dessins de quelques ombres que projetterait un objet plutôt familier, sorti du quotidien, une ombre transcrite sur le plan de la feuille et qui se serait séparé de l’objet initial pour vivre son autonomie. Mais l’art est-il une devinette ? Bien sûr l’art pose des questions, et il nous invite le plus souvent à nous immerger dans l’image et dans l’histoire quand il y en a, et à inventer du sens… Mais… Et si l’œuvre se limitait au fond à être ce qu’elle est, dans son état purement plastique : sa forme, sa couleur, son espace, limitant un relationnel au jeu des correspondances plein/vide, graphisme/aplat, fond/forme, contenant/contenu, mat/brillant, chaud/froid, droite/courbe, etc…?
Je viens d’énoncer là, un vocabulaire plastique de base, des fondamentaux qui organisent toutes productions visuelles. Des complémentaires, de la binarité, de la dualité, il n’y a pas l’un sans l’autre. Pas de graphisme sans aplat : le trait du crayon sur une feuille en est un simple exemple, ainsi qu’une surface, quelle qu’elle soit, placée dans un tableau joue simultanément dans une relation forme/fond, ou forme et contre forme, etc…
Et si le travail d’Izabela Kowalczyk questionnait les premiers rudiments de l’expression plastique ? Et si elle cherchait à s’en étonner, s’étonner que si peu de choses mises en présence, côte à côte ou superposées, imbriquées ou jointoyé, encastrées, parallèles, créent un événement plastique l’invitant à un voyage esthétique et poétique…? « En découpant le papier je vois se nourrir mon imagination » me dit Izabela. Cela revient à questionner le primat du faire, de la première inscription. Découper, superposer des surfaces. Comprendre cet acte (le prendre avec soi), questionner la relation non sophistiquée du banal, de l’état
©photo : Anne Loubet
premier, faire émerger la naissance d’un visible, s’étonner de ce qui éclot devant ses yeux. Déplacer les feuilles transparentes sur le support de la toile ou du papier, sans chercher un dessin a priori, se laisser surprendre, se laisser entreprendre par le jeu combiné du déplacement des aplats. Revenir à un état premier, être le primitif de sa rencontre, être le créateur insensé – ce mot dit à propos – parce qu’il n’y a pas de recherche de sens justement, si ce n’est la direction donnée aux surfaces en cours de translation.
On peut voir dans ce travail des formes isolées qui flottent dans des espaces vides, d’autres formant, en se superposant, une autre forme tout aussi énigmatique que les autres. Mais on ne peut pas ne pas souligner ceci : ces formes aplaties font penser à des plans ; des plans d’une architecture, d’un jardin, ou d’un espace indéfini, difficiles à reconstruire mentalement. Si ces formes planes sont des plans, il faut rappeler ce qu’est un plan : le plan de sol est le principal dessin d'architecture.
« C'est une vue de dessus qui représente la disposition des espaces pour un bâtiment ou un objet, à la manière d'une carte ». Voici des plans, voici des cartes pourrait-on dire… Mais cela se peut-il ? Ces formes, dont on sent bien qu’elles ont une origine prise dans le réel, donnent envie de les élever, de soulever des coins pour en faire un objet tridimensionnel. Le plan a bien pour dessein, pour projet, son élévation… Il a en lui ce devenir promis, attendu, envisagé. La carte est également une surface qui est, comme le plan, le support à une réalité tridimensionnelle. Aussi, on ne sera pas étonné de voir, au fil du travail et des œuvres de l’artiste, que les formes ont pris de l’épaisseur, et, comme pour soutenir ma réflexion, des charnières viennent « articuler » la rencontre de deux surfaces, comme pour les dire mobiles, comme pour les inviter à les relever comme une boîte qui aurait été dépliée et aplatie. Ce relèvement des côtés ne peut se faire que mentalement, et pour tout dire, à y voir de plus près, certaines charnières ne pourraient pas avoir de fonction opérationnelle de pliage. Mais s’il y a un sens qui commence à apparaître, ce pourrait être ce mot « charnière ». L’œuvre se trouve à la charnière du plan et de l’élévation, entre les deux et les trois dimensions : deux espaces distincts où s’élabore la création artistique.
Une œuvre qui serait emblématique à ce sujet, c’est la petite maison en volume constituée de plans assemblés par ces mêmes petites charnières. Elle n’est pas seule, les formes de départ que l’on a pu voir sur les papiers et les tableaux se prolongent sur des surfaces de plus ou moins grandes dimensions, appelées « Reliefs », faits de bois découpés et placées à quelques centimètres du mur, occasionnant une ombre portée dessinée par la découpe plus ou moins écrite de son contour. Ainsi, les formes primaires du départ, dont je supputais qu’elles étaient des ombres projetées et redessinées, deviennent à leur tour un objet qui fait ombre, tel un cercle qui se refermerait… Et, comme dans un non hasard sémantique, des cercles apparaissent en tant que formes nouvelles et affirmées dans ces plans posés à distance du mur.
Jusqu’à présent nous nous sommes tenus plus particulièrement à l’aspect formel des surfaces en présence, sans avoir signalé leur mise en espace dans des compositions toujours très équilibrée, l’équilibre et l’harmonie qui sont des constituants de l’art.
Et la couleur me diriez vous ? Le traitement coloré de ces formes n’est pas une quelconque surface de peinture. Comme pour un tableau, ce dont il est bien question ici aussi, le balayage de la couleur, les vibrations de la touche, la transparence et l’opacité des couleurs, le glissement des teintes les une sous les autres, ainsi que le mariage des tons chauds et des tons froids, ou la peinture mate et brillante qui jouent leur partition, disent à nouveau le questionnement des fondamentaux de l’expression plastique.
Pour finir, je dirais que le processus d’abstraction et de synthèse, réduit la représentation à un état originaire qui exprimerait les constituants premiers de l’expression mis à la disposition de l’artiste. Point n’est besoin de grandiloquence pour se faire entendre. L’expression minimale d’un propos crée plus d’écho que le bruit, même si on doit aller le chercher dans le silence.
Et pour reprendre une phrase de l’écrivain Richard Bach (*) : « Les choses les plus simples sont souvent les plus vraies. »
Bernard Muntaner, Janvier 2014
(*)Jonathan Livingston, Le Goéland
©photo : Anne Loubet
Quand il s’agit de parler de son travail, Izabela Kowalczyk tient à distance l’imaginaire et les interprétations. Cela regarde surtout le regardeur. Elle-même a ses propres « histoires », basées sur la mémoire affective, les souvenirs, l’expérience intime. Cependant les pièces, gravures, peintures, objets se situent ailleurs. Quand elle évoque du bout des doigts leurs significations c’est pour les désigner comme des prétextes. L’enjeu de son travail ne serait pas tant sémantique que plastique. Néanmoins le contenu ne peut être seulement formel. Une forme, même si elle prétend à l’abstraction, est toujours susceptible d’accrocher des représentations.
Ce dont parle volontiers Izabela Kowalczyk c’est du processus de fabrication, de la manipulation d’éléments découpés, de la
façon dont des motifs prosaïques ressortant du vocabulaire de la nature morte (chaises, tables, vaisselle) ou de l’architecture, sont emmenés ailleurs, mis en balance entre motifs encore reconnaissables et formes purement plastiques, de la création d’espaces à partir de formes bidimensionnelles, de plans qui s’interpénètrent, du rapport de la forme à l’espace du tableau.
La méthode de travail d’Izabela Kowalczyk est en partie née de ses expérimentations en gravure. Elle s’intéresse au rendu des images imprimées, présent dans son travail pictural à travers l’utilisation du pochoir et l’application de la peinture au rouleau. Ce traitement évoque en particulier des techniques d’impression en relief telles que la lithographie et la linogravure.
La phase préparatoire des images, un travail de découpage et de collage commun aux gravures et aux peintures, occupe une place privilégiée dans le processus de création. Pendant cette étape qui est celle de la création proprement dite, mélange d’une longue recherche et de rares et heureux accidents, le tableau vient. Pour que cela puisse arriver, un événement plastique doit naître du rapport des formes à l’espace du tableau. Les formes ont un « poids », une présence, qui dépend de leur emplacement dans la composition. Le choix de ces emplacements, le jeu des couleurs et des contrastes créent différents plans, une profondeur. Il y a aussi des interférences entre ces plans, des passages induits par les transparences, la juxtaposition des formes. Ces événements picturaux sont avant tout formels mais quelque chose de la figuration demeure.
Cette ambivalence ouvre un espace entre le nom, la fonction, les usages sociaux, symboliques, affectifs que l’on prête aux choses et leur être irréductible, isolé, innommable.
Un même processus de pensée est à l’œuvre dans les gravures, les peintures et les volumes. Il est visible dans le découpage et le collage à la base de toutes les compositions de l’artiste. Dans le cas des sculptures le papier a été remplacé par un matériau rigide et mis en volume. L’aspiration à la tridimensionnalité, sensible dans les gravures et les peintures (de façon littérale dans la série des monochromes en relief « Dialogue » 2000/2002), aboutit aux volumes, objets eux aussi en équilibre entre la représentation et ce qu’ils signifient par eux-mêmes.
Le silence occupe une place importante dans le travail d’Izabela Kowalczyk. Les pièces qu’elle produit ne résultent pas d’un questionnement à priori mais d’une recherche intuitive. Des formes à la fois familières et étranges oscillent entre motif et objet, signe et chose, sens et non-sens.
Florian Fernandez, 2012